Récolte et collecte du cachemire à travers le regard de plusieurs éleveurs membres des coopératives de l’association Sustainable Cashmere Union -SCU-
Entre climat et technique : la récolte
Il est 6 heures du matin lorsque Gankhuyag et sa femme Sosorbaram sortent de la yourte ce matin de Mai. Comme la majorité des éleveurs caprins, ils vont s’adonner à leurs tâches printanières quotidiennes. Gankhuyag amène le troupeau de petits ruminants -chèvres et moutons- pâturer en séparant les mâles des femelles tandis que Soso et sa belle mère donnent le biberon aux chevreaux naissants. À partir de 8 heures l’ensemble de la famille se retrouve au niveau du khoroo (l’enclos) où sont parquées une vingtaine de chèvres, en attente.
L’heure du peignage a sonné. Le duvet -nommé cachemire- en pleine mue de la capra hircus va être récolté. Cette tâche s’effectue une fois dans l’année, au printemps, de nos jours entre mi Avril et fin Mai. En 1990, Gantumur se rappelle « commencer la récolte du cachemire vers le 10 Mars quand les chèvres étaient bien portantes et que le climat n’était pas rigoureux après cette date. Actuellement la récolte débute vers le 15 Avril ». Le changement climatique ayant apporté son lot d’adaptation. La période de peignage dépend également de la température extérieure. Ne pas peigner trop tôt à cause d’un froid tardif qui mettrait en souffrance -voir tuerait- les chèvres. Ni trop tard pour conserver la qualité du cachemire -évitant l’augmentation du taux de pellicules et de gros poils. Le peignage ne s’effectue pas s’il y a de fortes tempêtes de sable puisque le sable couplé à la poussière sont des facteurs de pollution de cette toison d’or. Tsevelmaa explique que « l’important c’est la santé animale. Faire attention au retour du froid : les animaux peuvent mourir à ce moment là. C’est pour cela que les borlon (plus jeunes) sont peignés en dernier ». En effet lors du peignage l’âge et le sexe de l’animal sont pris en compte. Via les coopératives de SCU, les éleveurs peignent d’abord les animaux les plus résistants aux variations climatiques : les mâles puis les femelles et en dernier les plus jeunes âgés de 1 an.
Dans le khoroo se trouve soit une yourte montée à cet effet, soit une construction en pierre ajourée -symbolique des habitations du Gobi. Les chèvres sont saisies les unes après les autres, immobilisées au sol afin de leur attacher les pattes -par 3- à l’aide d’une corde pour les manipuler sans blessure. Le peignage s’effectue soit sur un morceau de tissu, soit sur un tapis en caoutchouc, pour éviter le contact direct avec le sol poussiéreux. Pour plus de commodité sur certaines bêtes les longs poils situés sur le dos et les flancs sont coupés au ciseau avant de débuter le peignage. Une personne adulte a besoin d’environ 40 minutes pour peigner un caprin mâle. Le temps varie de 30 à 50 minutes en fonction de la taille et de l’âge de l’animal. Le duvet de poils est prélevé à l’aide d’un peigne en fer dont la taille et l’espacement des griffes varie en fonction du lieu de peignage et de la quantité à récolter. Trois types de différente taille sont utilisés pour affiner le peignage. La sensibilité des chèvres au niveau du coup, de la nuque et des pattes nécessite l’utilisation du plus petit peigne. Cet outil est à manier avec précaution et demande un savoir faire prudent pour ne pas irriter la peau des animaux. Selon Gundo il est nécessaire de « trouver un équilibre entre un peignage doux -synonyme de perte de temps- et fort -qui irriterait la peau des chèvres pouvant leur procurer de la fièvre ». Le bon dosage respectueux de l’animal se situe entre un geste vif bien que délicat, plus ou moins rapide en fonction de l’expérience des individus. Cette technique traditionnelle apprise en premier lieu par l’observation de pratiques ancestrales a été complétée par les formations dispensées par l’ONG française AVSF lors de la création des coopératives.
Chaque individu tente de trouver son confort pour réaliser cette tâche, assis à même le sol ou légèrement surélevé sur un tabouret, le peignage n’en reste pas moins une activité répétitive et éprouvante où le dos et les bras sont mis à mal. D’autant plus qu’elle intervient à un moment de surcharge de travail faisant référence à la période des naissances. En prenant de l’âge, au fil des années, Gundo et sa femme avouent secrètement « être victime d’une perte de vigueur et de ténacité ». Une autre difficulté notoire réside dans les endroits de pelage où se trouvent des nœuds difficiles à défaire, il faut donc faire preuve d’agilité et de patience. À la fin du peignage de chaque chèvre, certaines familles apposent un brin de peinture sur l’une des cornes pour les repérer. À contrario, d’autres ne sont pas partisanes de ce geste qui peut quelques fois malencontreusement laissé une marque sur les laines des autres animaux en cas de contact.
De la qualité de la matière brute à l’entraide
« Le poids de cachemire récolté varie en fonction des années selon la forme physique des chèvres, la nourriture ingurgitée durant l’année » selon Gantumur. En effet la récolte de la toison d’or dépend de l’état de santé des animaux, de l’âge, du sexe. En moyenne la quantité annuelle de duvet récoltée par chèvre correspond à 300 grammes pour un borlon, 400g pour une femelle et 500g pour un mâle. Le cachemire prélevé par l’intermédiaire du peigne est humidifié et compressé sur ce dernier pour effectuer des rangées qui créeront, lors de son retrait, des boules homogènes. La quantité de cachemire brut récoltée par les coopératives de SCU est de 30 tonnes pour l’année 2020. Dans le monde, sur la même année, la quantité de production de cachemire est évaluée à 30 000 tonnes.
La consigne pour les éleveurs des coopératives de SCU, inscrite dans la charte, consiste à récolter un cachemire « le plus propre possible, sans crottins et avec peu de pellicules » insiste Gankhuyag ; pour qu’il corresponde aux critères de l’industrie du luxe. Les éleveurs trient leur cachemire au moment de la récolte en fonction des trois couleurs naturelles -blanches, beiges et marron- des âges et sexe des chèvres qui correspondent à des catégories de qualité différentes. Ce tri est minutieux et demande de l’organisation. Les éleveurs ont été formés par AVSF pour cette exécution. Cette tâche perçue au début comme « une contrainte est devenue une habitude, voire un réflexe nécessaire » en témoigne Oyuntsetseg. Chaque catégorie est directement stockée dans un sac homologué en polyester afin d’éviter toute contamination, notamment par des fibres de plastique, du cachemire. La qualité de la fibre s’inscrit également dans sa longueur et son diamètre (μ). En 2020, pour les éleveurs de SCU, elle oscille de 15μ à 16,8μ pour une longueur allant de 38mm à 41mm.
La saison printanière étant la plus lourde en terme de tâches à exécuter, il est fréquent que les éleveurs habitant dans un même bag (hameau) s’entraide durant le peignage. À ce titre là les éleveurs possédant le moins de cheptel -moins de 400 têtes- « effectuent le tour du bag pour proposer leur service en tant que main d’oeuvre pendant la période de récolte : un travail à part entière. Le salaire journalier s’élève à 100 000 ₮. Pour d’autres il correspond à 4 000₮ par chèvre peignée » explique Tsevelmaa. C’est un budget pour les éleveurs les plus aisés, un revenu pour les plus vulnérables. Certains éleveurs se rendent des services sur la base d’échanges de bon procédé, « vous nous aidez à peigner puis nous viendrons à notre tour », afin d’être plus efficace sur un temps réduit, à l’image d’ Uunkhbat. Chaque année les représentants des cinq coopératives de SCU évaluent le nombre de kilos de cachemire brut trié que peut délivrer un membre. Le bureau de SCU -situé à Ulaanbaatar- chargé de la commercialisation du cachemire éjarré, prend en compte cette estimation pour évaluer le nombre d’acheteurs essentiel.
Le moment de la collecte : le tri dans les coopératives
Le cachemire récolté est conservé en lieu sûr chez chaque éleveur. Il est ensuite acheminé en camion, voiture ou moto par les propriétaires jusqu’à l’hangar des coopératives qui se situe dans le centre du district. Via SCU, une entraide envers les plus nécessiteux -qui ne sont pas en capacité physique ou pour des raisons de logistique- est mise en œuvre pour l’apport du cachemire.
Le moment de la collecte est arrivé. Elle se situe dans un hangar aéré, isolé et qui représente toutes les normes de sécurité pour effectuer cette ultime tâche à la campagne. Les éleveurs amènent le cachemire sur une période s’étendant de 3 semaines à un mois, entre mi Mai et fin Juin. Les sacs contenant la matière première sont d’abord pesé pour en connaître la quantité puis vidés sur la table de tri propice à cet effet. Chaque boule va être minutieusement inspectée par le président et le directeur exécutif de la coopérative, sous l’œil avisé des éleveurs, afin de préserver uniquement celle de meilleure qualité. Le tri est effectué à la main avec port du masque pour se prémunir de la poussière volatile et irritante au long terme. Il est effectué au toucher et visuellement ; basé sur des critères liés à la qualité : les parties abîmées, sale -pellicules/peintures-, sèches ne sont pas sauvegardées. Le cachemire qui est conservé reste dans un carton le temps du tri, par la suite il est pesé, numéroté et stocké dans une balle homologuée en polyester -pour éviter toute pollution des fibres- à destination de la capitale. Le reste, non acheté par la coopérative, est rendu à l’éleveur.
Les balles de cachemire remplies pèsent entre 60 et 80kg. Une fois complètes, elles sont scellées sous le contrôle du président de la coop, du directeur exécutif et de la comptable. Le cachemire entreposé sera traçable depuis sa source via un bordereau – Bale Shit Form– fait en double exemplaire (coopérative-éleveur) comprenant les informations relatives au cachemire. À savoir : nom de l’éleveur et la quantité du cachemire brut pesé avant et après tri, le taux d’acceptation gardée par la coopérative, la catégorie d’appartenance de la fibre, le prix du cachemire, le paiement effectué et la signature des deux parties. Les balles sont ensuite stockées dans le hangar verrouillé et seront acheminées par camion -une fois que toute la matière première aura été récoltée- vers les industries d’Ulaanbaatar.
Le cachemire de SCU est vendu éjarré sur les marchés locaux et internationaux. C’est à dire laver de toutes ses impuretés et prêt à être filé. Le prix du cachemire varie d’une année à l’autre. Il fluctue en fonction de l’offre et de la demande basé sur les standards internationaux. Via la formation de ses éleveurs et pour être en cohérence avec ses valeurs, SCU veille à la pérennité de l’exploitation de la laine. Dans une vision accès sur la durabilité SCU ne peut qu’espérer que les paroles de Gundo soient prophétiques : « l’or blanc -cachemire- n’a pas de limite dans la durée alors que l’or jaune finira un jour ».